Jour 10 : Survoltage

J’évoquais hier la qualité des concerts gratuits de cette édition, et la prestation du Pan.Tone Quartet de ce matin ne fait pas exception. Le groupe est jeune, mais la qualité des compositions de Paul Bureau ne le fait pas transparaître un seul instant. Le pianiste possède une écriture d’une intelligence remarquable, qui sait aller à l’essentiel et surtout – et c’est bien là le plus important, grand égoïste que je suis – qui me touche particulièrement. L’apparente simplicité qui fait mouche, la sobriété qui fait jaillir l’élégance, ce quartet matinal me sort de la torpeur de ma trop courte nuit pour m’ancrer avec eux dans ce très beau moment. En conclusion, Martin Declercq nous offre un dernier éclat de grâce en faisant souffler son bugle près des cordes du piano de Paul Bureau à la manière d’Avishai Cohen. Cette avant dernière journée démarre sous les meilleurs auspices.

Et l’augure ne s’était pas trompé. Lorsque le concert de Thomas de Pourquery et du Supersonic démarre, je suis comme qui dirait à point. J’ai passé une excellente journée et je suis donc prêt à me faire emporter, je n’attends que ça. Un serpent prêt à se faire charmer. Une proie facile pour les six charmeurs du soir ? Probablement. Encore faut-il connaître la mélodie de ma subjugation.

Le piano solo d’Arnaud Roulin, en préambule, pose les jalons de mon étourdissement. Il prend tranquillement possession de mes mouvements en présentant quelques pièces de son prochain album. Le concert du Supersonic n’a pas encore démarré véritablement, et pourtant mon corps avance légèrement sur mon siège. Mon séant se meut de lui-même, sans m’interroger sur ma volonté. Je commence à perdre le contrôle.

Le Supersonic arrive. Arnaud Roulin m’a bien fait revenir, je suis doré, prêt à déguster. Et ils ne vont pas se gêner. Bien sûr, il y a quelques défauts, tout n’est pas parfaitement en place. Mais ce soir, je m’en fous. Mon cerveau tente d’enregistrer ces petits couacs, mais mon cœur, lui, n’en a que faire. Il les arrache de ses mains et les balance très loin de moi. Et mon séant avance toujours plus. Ma poitrine se contracte et se déplace aussi de gauche à droite, d’avant en arrière, happée par le spectacle qui se joue devant mes yeux écarquillés. Les moments où les trois cuivres se libèrent de toute grille harmonique me donnent envie de crier. J’ai toutes les peines du monde à me retenir durant les solos d’Edward Perraud, véritables moments de grâce et de magie. Je mue pour redevenir un jeune serpent, à peine sorti de son œuf et émerveillé par le monde qu’il découvre alors pour la première fois.

Alors quand Thomas de Pourquery demande à la salle de se lever, mon corps rejoint mon cœur qui était déjà debout. Et tous les cobras de la salle se dressent et entament leur danse. Ces psylles là ne trichent pas. Ils n’utilisent aucun artifice, aucun tour pour nous charmer. Leur musique suffit amplement. Les charmeurs de serpents auraient probablement une vie de leçons à prendre du Supersonic. Moi, je ne veux surtout pas savoir. Être charmé ainsi est précieux et je n’aspire qu’à l’être de nouveau.

photos : Didier Radiguet