Jour 1 – Jamais trop

Je ne m’en suis jamais caché, et je le répète assez souvent, je ne suis pas un amoureux des chanteuses catégorisées diva. Pourquoi? Qu’est-ce qui crée cet à priori négatif sur un pan entier de la musique chantée, pan au combien plébiscité et surtout, pan particulièrement
vaste? Quasiment à chaque concert d’une grande chanteuse, d’une diva à la puissance tonitruante, c’est la même chose. C’est trop pour moi. Trop de puissance, trop de modulation démonstrative, trop d’envie d’avoir une salle déjà conquise à sa cause, trop d’énergie.

Tout ce surplus, cette accumulation, crée toujours le même sentiment en moi : la performance me semble factice, fabriquée, et je finis par ne pas ressentir grand-chose. J’ai besoin de la fameuse émotion de la découverte, et en général, je n’en ai pas, ou peu, dans ce registre.

Le concert d’ouverture du festival Eclats d’Email, comme souvent, propose la découverte d’une de ces voix féminines démesurées. Justina Lee Brown se déchaîne, démontre sa puissance, harangue la foule, et même lorsqu’elle annonce qu’elle va “cool it down” pour son troisième morceau présenté comme une ballade, elle déborde d’énergie et de fougue. Tous les ingrédients sont donc réunis pour que je passe une soirée oubliable, comme j’en ai déjà vécu un certain nombre avec ces fameuses divas. Et pourtant, inexplicablement, je ne
bascule jamais dans le trop. Je n’atteins jamais le point de rupture qui me fait pencher vers le fabriqué, le factice.

Alors même que je me dis que la chanteuse déploie encore plus d’énergie et de caisse que la plupart des interprètes de son rang, j’ai toujours la sensation que ce qu’elle me transmet est juste, vrai. C’est comme si ce personnage surpuissant était précisément et exactement
elle, et pas ce que je ressens habituellement comme un masque de scène. Est-ce son histoire, qu’elle raconte sur scène, et qui me rappelle l’Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie, qui me ramène au réel? Peut-être. Ce qui est sûr, c’est que je crois en cette performance.

Si l’on ajoute à cela les morceaux de son nouvel album, Echoes of Home, qui lui permettent de poser sa voix différemment lorsqu’elle ne chante plus en anglais et les mélodies qui rappellent au bon souvenir des Temptations, ce qui aurait pu être une soirée quelconque
devient un très beau moment musical. Il est seulement entaché par des balances très légèrement déséquilibrées à mon goût, avec des instrumentistes un peu fort en comparaison à la voix de Justina Lee Brown.

Carry me, la seule véritable ballade du concert, finit de me satisfaire. Pendant ces quelques minutes, la chanteuse n’a plus besoin de déployer son énergie, et sa voix, sans forcer, m’enveloppe. Encore une fois, j’ai été convaincu par une chanteuse aux antipodes de mes
habitudes musicales. Encore une fois, le festival commence parfaitement.

Alexandre Fournet

 

©Photo Didier Radiguet