JOUR 3 : Efflorescences

Trois jours de festival, une annulation, deux remplacements. Cette édition 2021 a une saveur particulière. Celle de l’inattendu, de l’imprévu, et donc, de la découverte. Est-ce dérangeant ? Certainement pas. Surtout lorsque l’on retrouve ces sensations au sein même des concerts.

Mangane était déjà présent sur le festival il y a deux ans, pour un concert matinal au cloître franciscain. Même formule ce matin, mais pas vraiment le même homme. La voix est plus sûre, plus profonde, l’univers musical se dessine non plus seulement en lui mais tout autour de lui, en nous. Il est évident qu’en deux ans, le chanteur sénégalais s’est transformé, a franchi des étapes cruciales dans son développement artistique. Le bourgeon pointe le bout de son nez. Il n’est pas encore ouvert, il faudra patienter encore un peu pour cela. Mais la fleur qui en sortira sera sans aucun doute admirable.

C’est dans ces moments-là que se joue tout le sel du festival. Au-delà de ceux dont le nom rayonne et résonne à travers le monde, c’est avoir la chance et l’honneur de pouvoir voir un artiste grandir, s’épanouir, trouver son chemin dans son art, trouver sa place dans cet écosystème.

Lorsque Silvia Ribeiro-Ferreira, que je n’avais pas entendue en live depuis trois ans, a soufflé les premières notes d’Equinox dans son ténor, elle a appuyé dans une vieille brèche, en moi. Celle qui s’est ouverte lorsque j’ai compris ce que l’on pouvait faire avec la musique. Celle de ma première écoute de l’Alabama de Coltrane, le jour où il m’a expliqué à grands coups de canon dans l’estomac ce que représentait la musique qu’il jouait, ce que représentait le fait de la jouer, et pourquoi on devrait toujours se battre pour qu’elle existe, pour qu’elle soit entendue, pour la porter au plus grand nombre. Là. C’est là que Silvia Ribeiro-Ferreira est venue appuyer. En trois notes. Découvrir cette évidence, cette évolution, trois ans plus tard, m’a immédiatement pris aux tripes et ne m’a plus quitté tout au long du concert.

La saxophoniste partageait la scène de la BFM de Beaubreuil avec Lorenzo Naccarato, que j’avais aussi entendu pour la dernière fois en live deux ans plus tôt. Et une fois de plus, j’avais en face de moi un nouvel artiste. La même âme, transfigurée. L’esprit en fusion devant un nouvel instrument, un piano préparé qui boutonne, un instrument riche, dont chaque élément ne demande qu’à éclore par et pour les mains du pianiste. Une petite entité musicale à apprivoiser, à faire grandir. Les prémisses d’un ballet fantastique, le début d’un nouveau monde que l’on voudrait déjà voir fleurir aux sons nés de cette danse. Encore une fois, je me retrouve béat devant ces changements, cette volonté de créer un nouvel équilibre. Espérons pouvoir être suffisamment chanceux pour découvrir bientôt l’incarnation de cette rencontre introspective.

Un peu groggy, ivre du début de la journée, j’arrive à l’opéra pour le concert de JP Bimeni. Les Black Belts commencent à jouer, déchaînés. Le public est immédiatement conquis, et lorsque le chanteur burundais prend le micro et nous fait découvrir sa voix, un frisson me parcourt. Cette voix est rare, précieuse. Et la chaleur que cet homme dégage est indéniable, l’énergie qu’il emploie semble infinie. Et pourtant, je me perds. Il me perd. Peut-être était-ce le volume, un peu trop élevé pour moi. Peut-être était-ce l’enchaînement effréné des morceaux que je n’arrivais plus à suivre, essoufflé par la densité d’un concert sur les chapeaux de roue. Les ingrédients étaient là, je pense qu’il faut encore trouver la meilleure recette. Une recette qui pourrait être, alors, synonyme d’excellence.

Efflorescences. Cette journée était remplie d’efflorescences. Que l’on parle de la naissance d’un bourgeon, du début d’une fleur, de l’apparition d’un bouton, la découverte était au rendez-vous du petit matin aux dernières heures de la journée. Jusque dans l’Ambassade, dans laquelle Lioness Shape se produisait pour le dernier concert de la journée. Le trio composé de Manon Chevalier, Maya Cros et Ophélie Luminati présente son premier album Impermanence et rapidement, je n’arrive plus à détacher mes yeux d’Ophélie Luminati. La batteuse du groupe semble chez elle, dans un fauteuil, pendant qu’elle ravage délicatement sa cymbale charleston. Avec un jeu aussi riche et communicatif, elle n’aurait d’ailleurs pu avoir que sa charleston et sa caisse claire. Une claque de plus dans cette journée à tiroirs. Que l’on m’apporte une commode !

photo : Photolim87