Jour 11 – Wonderland

Gaya Jouravsky continue son travail admirable auprès des étudiants du CRR de Limoges. Le groupe Octopus 87, qui regroupe les étudiants qu’elle forme, se produisait ce matin au foyer de l’Opéra de Limoges. C’est désormais un véritable rendez-vous du festival, à en croire la foule présente à 11h. L’avantage de proposer ce rendez-vous chaque année, c’est que l’on peut apprécier l’évolution de tout jeunes musiciens. Les Six Fingers, le groupe des étudiants déjà présents les années passées, peuvent désormais se permettre de s’attaquer
à My Favorite Things. Une progression épatante, fruit, sans aucun doute, d’un travail consciencieux.

En arrivant au concert du trio de Daniel Garcia, j’avais en moi beaucoup de colère. Rien à voir avec le concert précédent, bien entendu, simplement de la colère qui a fleuri en moi à cause d’un événement malheureux. Ce n’est pas tout à fait le sentiment le plus adapté pour
profiter d’un concert. J’avais donc une petite inquiétude. Allais-je réellement profiter de ce concert ? Et ainsi, pourrais-je être juste au moment d’écrire ces lignes? Ce que je n’avais pas prévu, c’est que Daniel Garcia, Alejandra Lopez et Shayan Fathi prennent toute ma colère et me rendent en échange une félicité et une exaltation inattendue.

Selon moi, Fred Hersch a formé avec Eric McPherson et John Hébert l’un des, si ce n’est le, plus grand trio que le monde moderne a pu connaître. Trois musiciens sensibles, qui s’écoutent et jouent ensemble à en faire pâlir les dictionnaires qui voudraient donner une définition de l’osmose. Un batteur au jeu si fluide que chacun de ses mouvements et de ses choix porte la splendeur de l’évidence, un pianiste à la musicalité et à l’élégance absolue et un contrebassiste capable d’un raffinement harmonique et rythmique effarant. Pour moi c’est ça, le Fred Hersch trio. Évidemment, si j’en parle, c’est parce que je n’arrête pas d’y penser durant tout le concert.

J’y pense parce que Shayan Fathi est un génie de la souplesse, de l’ampleur, avec un toucher somptueux. J’y pense parce que les harmoniques d’Alejandra Lopez m’ont donné envie de rugir de bonheur. J’y pense parce que la capacité de nuances de Daniel Garcia me
semble inconcevable. Immense trio, immense solo d’Alejandra Lopez, qui restera dans mes annales. Le plus effarant ? La contrebassiste et le batteur ne sont pas les partenaires de jeu habituels du pianiste, pas ceux non plus avec lesquels il a enregistré Wonderland, l’album
qu’il présentait aujourd’hui… M’enfin tout de même, il y a des limites au génie !

Forcément, après un concert comme ça, je n’ai plus trop de doutes quant à ma capacité à apprécier le concert de clôture de Black Lives, le trio de Daniel Garcia m’a mis dans une telle joie que je suis plus que disposé à me régaler. Et Sonny Troupé va parfaitement s’en charger. Je sors parfois un peu du concert, un peu perdu entre les compositions qui s’enchaînent et entre lesquelles je n’arrive pas toujours à faire le lien. Mais dès que mon esprit vogue ailleurs, et que quelques pensées parasites m’envahissent, le batteur me rappelle tout de suite à son bon souvenir, avec une énergie débordante et communicative. C’est d’ailleurs son duo avec Marque Gilmore en fin de programme qui va embraser l’Opéra de Limoges.

Vivement l’année prochaine.

Par Alexandre Fournet

 

Crédit photo : Anne-Sophie Dubreuil