Hormê ouvre le bal d’une journée qui sera mémorable. Le jeune quartet est le premier à se produire dans l’un des auditoriums de l’hôtel de région de la Nouvelle Aquitaine. La qualité première des compositions de Rozann Béziers et Robin Jolivet, c’est leur complémentarité. Le groupe jongle entre deux styles différents, l’un plus rock, l’autre plus aérien, tout en gardant son identité. Robin Jolivet en profite pour largement se faire plaisir, démontrant toute sa dextérité à la guitare. Après un de ses solos, une dame à côté de moi ne s’y trompe pas “Ah oui, c’est très bon”. Nous sommes bien d’accord, madame.
Je sais bien que la programmation du festival me déçoit rarement, et je sais bien que chaque mercredi après-midi de chaque édition à l’hôtel de région de Nouvelle Aquitaine sera le théâtre de nouvelles découvertes. Je sais aussi que d’année en année, la qualité des
concerts gratuits du festival ne cessent de monter. Tout cela je le sais. Mais rien n’aurait pu me préparer à la prestation d’Asura.
Ils sont supposés être lauréats d’un tremplin, un tout jeune groupe d’une bonne année, comme le dit Martin Vernoux en préambule. Je n’ai pas assisté au concert d’un jeune groupe, j’ai assisté à l’un des plus beaux concerts de cette édition 2024, et je me suis empressé à mon retour du concert de chercher si leur musique était disponible quelque part, sous une forme ou une autre. Les compositions de Martin Vernoux sont sublimes. C’est de la musique que j’ai envie d’entendre en concert, d’entendre chez moi, d’entendre dans les transports. J’ai envie qu’elle m’accompagne au quotidien, en fait. Il y a dans cette musique une inexplicable candeur. Ainsi, Pierre Thiot m’émeut aux larmes après seulement quelques notes de Croquet volant, et je suis pris d’une émotion à la fois intense et rassérénante. La puissante justesse du saxophoniste, avec ou sans effet, m’a complètement conquis. Je ne saurais dire duquel des quatre instrumentistes sourd l’aura fraternelle qui émane de l’ensemble, mais il est certain qu’ils en sont tous saisis. Je ne pensais pas profiter d’un concert aussi grandiose cet après-midi.
Alors forcément, avec une telle après-midi, j’appréhende un peu le concert du soir. David Krakauer, figure emblématique du jazz klezmer, est, j’imagine, dans une énergie complètement différente de ce qui m’est tombé dessus cet après-midi. Mais est-ce que le clarinettiste en a quelque chose à faire de mes états d’âme ? Absolument pas. En deux morceaux, mes inquiétudes s’envolent, et j’entre complètement dans le concert.
Je parle souvent de voyages, d’explorations, d’influences diverses ressenties à travers les concerts. Ce soir, le programme composé par David Krakauer et Kathleen Tagg dépasse très largement les canons habituels du voyage, du multiculturalisme et du partage. Avec un batteur originaire du Japon, un percussionniste iranien, un guitariste et joueur d’oud issue d’une famille juive orthodoxe américaine, un bassiste de Brooklyn, une chanteuse et rappeuse canadienne, une pianiste et multi instrumentiste sud africaine et enfin un clarinettiste américain issue d’une famille émigrée de Pologne, ce groupe aurait déjà une histoire riche à raconter.
Cette histoire nous est transmise par un groupe qui n’est pas seulement la réunion de plusieurs musiciens talentueux aux cultures diverses, mais bien une seule entité qui nous conte l’universalité. Sarah MK est la première à marquer de son esprit hip hop la soirée. Pas
une seule de ses prises de chants et de paroles ne dénote, bien au contraire, elle apporte un souffle grisant à l’ensemble, qu’elle chante en français ou en anglais. Tous peuvent largement s’exprimer, prendre leur place dans ce concert, le marquer de leur empreinte.
Le résultat ? Une musique pantagruélique, abondante, généreuse. Un nuancier d’humanité. Souvent effrénée, mais parfois beaucoup plus mesurée. Lorsque Jerome Harris prend le micro pour reprendre à sa façon Wayfaring Stranger, dans une ode à l’union entre judaïsme
christianisme et islam, le concert bascule encore dans une autre dimension. La sobriété de la voix du bassiste, et l’histoire qu’il raconte, touche tout de suite, comme si l’on comprenait d’un coup l’Histoire entière de plusieurs peuples que l’on a réuni.
Ce concert est une démonstration. Une démonstration du génie de l’humain, de son génie à créer, à partager, à magnifier et amplifier quand il fait le choix de l’union. Brillant.
Par Alexandre Fournet
Crédit photo : Didier Radiguet