Jour 4 : Fureurs

Pendant une période de ma vie, je me suis essayé à la MDMA. Mes souvenirs de ces soirées ne sont pas tous clairs, bien qu’ils ne soient pas si lointains, mais j’ai en mémoire la sensation d’en avoir eu besoin pour atteindre quelque chose d’autre, un état inaccessible qui ne va pas jusqu’à la transe mais qui pourrait s’en rapprocher, un flou extatique dans lequel il est facile de s’oublier. En réalité, cette recherche de sensations n’était jamais une totale réussite, et il fallait replonger pour espérer atteindre ce nirvana sensoriel, qui évidemment, n’est jamais venu et ne viendra jamais. Ou tout du moins, pas de cette façon.

Ces états bizarres, seconds, à la limite de la conscience, j’ai pu les explorer véritablement, et surtout bien plus sainement, en musique. Walter Smith III, Shabaka Hutchings, et bien avant eux John Coltrane, m’ont emmené sur ces territoires transcendantaux, bien au-delà de ce que pouvait offrir l’ecstasy. Cet après-midi à l’Espace Noriac, c’est le quartet AMG qui m’a entraîné dans ces contrées.

Ce sont des contrées vastes, contrastées, parfois très sombres, parfois d’un éclat éblouissant. Bien que Liam Szymonik remplace exceptionnellement Keïta Janota, l’équilibre entre les quatre instrumentistes n’est absolument pas dérangé. Cet équilibre permet la
catalepsie, et pourtant chaque musicien me tiraille dans un espace différent. L’intensité de Liam Szymonik, la fureur volcanique de son jeu, sont diamétralement opposés et parfaitement complémentaires avec les motifs obsédants et alpestres d’Antoine Fleury. Le flegme rassurant de Mailo Rakotonanahary, la sérénité de ces gestes, sont aux antipodes, et forment un accord parfait, avec l’allégresse résolue d’Anthony Jouravsky.

Les compositions d’AMG sont parfaitement adaptées à l’expression de ces personnalités, ce sont des lieux de rencontres et de frictions brillamment élaborés. De cette façon, ils me brinquebalent tour à tour dans leurs univers, au gré de leurs envies, jusqu’au moment où ils
décident d’en créer un ensemble. La coruscation de ces instants me saisit, me paralyse. Leurs joyeuses fureurs sont d’une telle véhémence que je suis pris au corps, prisonnier de ce dernier. Des souvenirs jaillissent, des très bons, des très mauvais. Une tornade d’impressions me renverse, et la diversité du spectre de ce qu’un être humain peut ressentir me tombe dessus sans crier gare. Une petite partie de moi souhaite que ça s’arrête, une grande partie de moi ne le voudrait pour rien au monde.

Je sors de ce concert hagard, lessivé, déboussolé, ravi. Que ces phénoménales sensations antinomiques fusionnent, et restent en moi comme un témoignage endiablé de la force inouïe de cette musique.

Par Alexandre Fournet

 

Crédit photo : Didier Radiguet