Depuis l’année dernière, l’EHPAD Marcel Faure de La Bastide accueille des concerts dans le cadre du festival. Je n’avais pas pu assister à celui de l’an dernier, mais j’ai pu me rendre à celui de Gaël Rouilhac et Pierre Tortajada qui avait lieu cet après-midi. De l’importance du
rayonnement de la musique dans tous les lieux qui peuvent l’accueillir. Faire venir la musique dans ce lieu, amener le festival à des personnes qui n’ont plus nécessairement la possibilité de se rendre dans les salles de concerts, c’est primordial pour que le festival soit, au delà d’un enchaînement d’excellents concerts, un moment vécu par l’ensemble d’un écosystème. Un écosystème partagé par plusieurs générations qui se retrouvent dans ce lieu qui n’en comporte, le reste du temps, qu’une seule. Faire entendre la musique partout, à tout le monde, créer du lien là où il peut en manquer, c’est salutaire.
C’est ce qui a été fait à l’EHPAD de La Bastide, mais aussi, dans la foulée, à la BFM de Beaubreuil, qui accueillait le duo piano-saxophone Altaïr. Me voilà donc assis dans cette bibliothèque limougeaude avant que le concert ne commence, et puis en quelques secondes, je ne suis plus là. La musique d’Altaïr est une musique du voyage, dans ses influences, et dans sa capacité à transporter. Pascal Coupez insuffle par sa seule présence un calme communicatif, tremplin parfait pour pénétrer dans la musique du duo. C’est une invitation à l’introspection, à l’escapade intérieure, et une fois que l’on se laisse happer, le temps s’écoule différemment. Le style minimaliste s’y prête parfaitement et je me sens bien, à moitié éveillé, plus tout à fait conscient de mon environnement. J’ai la sensation de pouvoir couler sur mon siège, à la dérive, en sécurité sur un torrent furieux. S’extirper de cette douceur n’est pas chose aisée, mais le choc du concert suivant ne me laisse pas le choix.
Le concert de Keziah Jones commence. Mon sternum vibre, mais ce n’est pas vraiment un choix. Je suis rarement satisfait quand les basses sont tellement puissantes qu’elles forcent mon corps à vibrer contre ma volonté. Donc, je suis un peu bougon, un peu distrait. Je mets un long moment à rentrer dans ce concert, j’aimerais confisquer la grosse caisse du batteur, pour profiter plus simplement du moment. Cela démarre mal, mais Keziah Jones n’est pas n’importe qui. Il vient me cueillir avec des compositions de son chef d’œuvre Black Orpheus.
Je fredonne. Il insuffle une autre énergie à ses musiciens, les guide ailleurs, vers une nouvelle expression de leur musique, orchestre leur performance. Ma jambe commence doucement à battre la mesure. Il joue du Fela Kuti, trouve les bons riffs. Mon esprit n’est plus dans le vague, je suis enfin dans l’instant présent. Il va chercher un public timide, avec beaucoup d’énergie, d’envie et de générosité. Tout le monde finit par danser debout en chantant Pass the joint. Je me dis que le bassiste a vraiment une belle énergie. Je souris. Ça y est, je passe un bon moment. Ma cage thoracique vibre toujours, c’est toujours déplaisant, mais… Mais c’est bon, aussi. Très bon.
J’imagine que c’est la marque des grands artistes, envers et contre tout, face à des oreilles et un corps las, Keziah Jones a tout de même trouvé la voie jusqu’à moi, pour m’emmener en voyage dans son univers blufunk.
Par Alexandre Fournet
Crédit photo : Didier Radiguet / Anne Sophie Dubreuil (dernière photo)