Il était une voix. Une voix claire, puissante, précise. Une voix splendide. Elle se pare. D’un premier atours, puis d’un deuxième, un troisième, et bientôt, d’une montagne d’ornements plus brillants les uns que les autres. C’est flamboyant, mirobolant, on n’entend plus que ça. Mais la voix, elle, a disparu. Ou tout du moins, ce qu’elle était. Elle est remplacée par quelque chose que l’on a déjà entendu souvent, que l’on connaît bien, qui peut être réconfortant, mais qui n’est plus vraiment cette voix splendide d’avant les parures. Un modèle standardisé, aseptisé.
Du début du concert d’Ina Forsman, jusqu’à la reprise d’I Put a Spell on You, j’ai la sensation que la chanteuse finlandaise a sorti toutes ses plus belles parures. Le genre musical d’abord, une soul rassurante, qui ne faillit pas, qui a fait ses preuves depuis longtemps maintenant, avec ses accords phare, reconnaissables entre mille. La langue, ensuite, l’anglais de la soul américaine, marquée de l’empreinte de toutes celles et ceux qui l’ont chantée avant elle, les vibrations caractéristiques qui l’accompagnent, les effets vocaux attendus. Viennent ensuite les gestes, la façon de s’adresser au public, la corporalité sur scène.
La musique que j’entends alors est une musique que j’adore, que je connais par cœur, la soul que j’ai écoutée pendant toute mon adolescence. Mais cette musique, je la connais déjà. Je l’ai déjà entendue, alors que je ne connais pas Ina Forsman. Et à ce moment-là, je me dis que la personne sur scène pourrait être Ina Forsman, ou quelqu’un d’autre, cela changerait finalement bien peu de choses. Je ne perçois et ressens rien qui me semble être “elle”. Il en va de même pour le groupe qui l’accompagne, qui joue ni plus ni moins que sa partition. I Put a Spell on You est l’illustration ultime de ce sentiment, l’acné de mon malaise.
Mais au milieu du morceau suivant, la trompettiste Kelly O’Donohue et son solo à la simplicité désarmante viennent finalement me cueillir, et semblent également emporter Ina Forsman. J’ai alors l’impression qu’un autre concert débute, dès le morceau suivant. La chanteuse change de registre et propose un morceau en finnois, uniquement accompagné par son guitariste. Cela éclipse complètement toute la première partie du concert, qui n’a alors même plus existé dans ma réalité, et je me connecte entièrement à elle. J’ai l’impression d’enfin la comprendre, d’enfin la découvrir. Oubliées les pirouettes techniques et les effets camoufleurs, il ne reste plus que sa voix incroyable, posée simplement, avec des aspérités auxquelles on peut s’accrocher. C’est tout ce qu’il fallait pour atteindre la fameuse soul qu’elle voulait chanter.
Je retiens donc ce morceau, et toute la suite du concert qui, même en revenant au style du début du concert, n’a plus la même saveur, comme si cette chanson en finnois avait transformé l’atmosphère que je ressentais comme aseptisé en quelque chose de chaleureux, vivant, qui m’accompagne encore au sortir de la salle.
Par Alexandre Fournet
Crédit photo : Anne Sophie Dubreuil