Jour 3 : A Demil à l’heure

Quelle journée! De 6h45 à minuit 30, le festival n’était pas avare de musique ce samedi avec 6 concerts prévus entre le petit matin et le début de la nuit. Je commence la journée dès le poitron-jacquet, avec le batteur devenu conteur Jean-Marc Lajudie. Le tout jeune bandonéoniste a décidé de nous raconter en musique une petite histoire de son instrument, et de la musique par la même occasion. Et forcément, avec une carrière aussi longue et prolifique que la sienne, la besace à contes est bien remplie. Après quelques morceaux et surtout quelques anecdotes, je’yb prends goût et attends la suivante avec impatience. De ce petit bout d’histoire, de son histoire, que l’instrumentiste nous offre élégamment. En une heure, j’ai pu appréhender l’atmosphère d’une époque qu’aucun film ne saurait me présenter. J’aurais pu rester là toute la journée, à écouter ce grand homme raconter ses petits contes.

Mais le temps file et le trio d’Alès Demil n’attendra pas. Les comparaisons fusent dans mon esprit à l’écoute de ce guitariste qui vient seulement de commencer son voyage musical public. Le niveau de jeu d’Alès Demil est inimaginable. Est-on parti pour cinquante, soixante, soixante-dix ans d’Alès Demil ? Se dire que ce n’est que le début de l’histoire de cet instrumentiste lorsque je ressens déjà un tel sentiment d’accomplissement, se dire que je vais peut-être vieillir au son de cette guitare qui me réserve une infinité de réalités auxquelles je n’ai encore jamais songées, c’est vertigineux. Vertigineux, et délicieux. J’ai hâte d’assister à ses lendemains, et je veux continuer à me délecter de son présent. Une belle talmouse au milieu de ma figure.

Il est 15h et la richesse et la complexité de la musique d’Alès Demil a déjà altéré sérieusement mon état. Le trio d’Alexis Colosio a une solution simple à ma condition ; un enchaînement de standards doux, que je connais bien et qui m’offrent un espace de repos appréciable, guidé par la délicatesse de la trompette de Jean-Paul Del Medico. Une parenthèse duveteuse dans une journée menée tambour battant, et qui continue par ailleurs avec la découverte des œuvres d’Anne-Marie Doyen. DOAM est exposée pour toute la durée du mois de novembre à la BFM de l’Aurence. Tout comme je m’exprime à travers l’écoute de la musique, elle crée en écoutant ce que les sons voulaient bien lui offrir. Un exercice à découvrir sur place jusqu’à fin novembre, donc.

20h. Mangane et toute l’équipe qui l’entoure se présentent sur la scène de l’Opéra de Limoges. Contrairement à l’année passée, pas d’Alune Wade à la basse. Celui qui a assuré la direction musicale du projet et a permis la rencontre des artistes présents sur scène est remplacé par Ranto Rakotomalala. Je suis donc forcément intrigué et impatient de voir à la fois comment le groupe fonctionne sans le bassiste sénégalais, et comment il a évolué, un an après le concert au centre culturel Jean Gagnant. Je ne vais pas être déçu. Anthony Jambon dessine une trame musicale riche qui lie les huit acolytes, et son son a pris encore plus d’épaisseur, de richesse et d’amplitude. Il irradie d’une sérénité tranquille, pendant que ses doigts tissent l’architecture d’une grande soirée musicale. Sacrée journée pour les amateurs de guitare.

Avec de telles fondations, il y a de la place pour s’exprimer, pour s’amuser. Les deux pitres de la section cuivre ne me contrediront pas. J’essaie de ne pas les regarder tout le temps, mais je suis irrémédiablement attiré par l’une des nombreuses chorégraphies splendides qu’ils mijotent. Libres de s’amuser, et de s’exprimer aussi. Rien ne m’a plus touché que le solo d’Hugues Mayot au soprano sur “La Famille”. On pourrait me rétorquer que mon amour du soprano allait forcément mener à cette conclusion, bien au contraire. A tant l’aimer, j’en deviens exigeant. Et pourtant, à ce moment-là, je vibre intensément.

Quant à Mangane, c’est un spectacle à lui tout seul. Sa voix, son énergie, l’hilarité et le bonheur simple qui le caractérisent me prennent au corps. Je suis à la fois ému par le personnage, amusé par sa simplicité, hilare de sa bonhommie. C’est un petit soleil de musique, radieux, entraînant, et encore plus lorsqu’il se saisit de son sanza.

Je sors de ce concert bienheureux, le sourire aux lèvres, et ce n’est pas la deuxième prestation des Lehmanns Brothers qui risque de me l’arracher. Ils auraient plutôt tendance à l’élargir plus que de raison. Ce soir, c’est la basse survitaminée de Clément Jourdan qui est à l’honneur, slapée jusqu’à n’en plus pouvoir. Ce concert chez Pompette a tout de même un énorme défaut par rapport à celui de la veille. La veille, je pouvais me réjouir de les retrouver le lendemain. Mais maintenant qu’ils ne reviendront plus, que me reste-t-il ?

photos : Didier Radiguet