Translation débute. Le concert, lui, touche à sa fin. Et pourtant, il semblerait que la prestation vienne tout juste de commencer. Gaspard Guerre et son bassiste Idris-Félix Bahri sont toujours dans la même énergie, connectés au groupe, instillant à son atma un souffle qui aura porté la performance et le public toute la soirée. Louis Mardivirin et Sébastien Lamonerie, en revanche, ne sont plus les deux instrumentistes qui sont entrés sur la scène du Centre Culturel Jean Gagnant à 20 heures ce lundi soir. Louis Mardivirin ne réfléchit plus. Et nous avec lui. Depuis son solo au soprano sur Balade for V, le saxophoniste rayonne. Oubliés les doutes, les craintes, oubliés le jeu bien rangé, la succession d’accords parfaits, très sages. Il ose, il est. Et ça fait un bien fou. Je sens que quelque chose se passe, que je ressens sa musique.
Depuis le début du concert, j’ai envie de les voir se laisser aller, de laisser venir la musique, d’accepter les fausses notes, les dissonances, les imperfections. J’ai envie de les entendre jouer vraiment, eux, pour tout ce qu’ils sont et ce qu’ils ne sont pas encore. Et j’ai la sensation de voir la même envie brûler Gaspard Guerre toute la soirée. A chacun de leur solo, j’ai l’impression qu’il va déborder de sa batterie, que ses baguettes vont voler jusqu’à eux pour leur donner le supplément d’âme que je n’arrive pas à ressentir. Le batteur est habité, à tel point qu’il est difficile de détacher mes yeux de lui. Il vit chaque note, chaque son, chaque instant de cette performance et irradie la salle d’une générosité simple et délicieuse.
Tout au long de la soirée, il prend le temps de lire des poèmes, de raconter ses compositions, d’articuler sa performance en plusieurs actes qui prennent tout leur sens dans le déroulement de la prestation. Gaspard a un véritable univers à défendre et il le défend admirablement bien. De la Naissance -le premier acte- à la Transformation -le dernier-, de Walk à Translation, le batteur déroule son histoire avec justesse et pertinence.
Au sortir du concert, je suis à la fois frustré et heureux. Heureux de retrouver Idris-Félix Bahri. Je l’avais découvert en me baladant à Marciac, au hasard d’un bar dans lequel il était venu poser quelques lignes de cette basse que j’ai reconnue dès les premiers instants de la séance. Heureux de voir comment Gaspard Guerre a fait mûrir son idée de la musique, du spectacle qu’il voulait offrir, tout en gardant cette furieuse envie de jouer avec des gens qui comptent pour lui. J’ai rarement lu un tel bonheur de partager un moment de musique avec son entourage, un tel désir fraternel, des yeux si illuminés à chaque virage mélodique. Frustré car j’aurais voulu que Translation soit le prémisse et non la conclusion échevelée d’un concert, dans lequel le quartet avait tant à offrir. Frustré de me rejouer cette soirée en imaginant comment j’aurais pu me régaler du début à la fin, sans avoir ce petit goût d’inachevé.
Heureux et frustré en même temps, car ce quartet m’a offert un très beau moment, et que j’ai envie de voir Louis Mardivirin et Sébastien Lamonerie déployer les ailes que j’ai admirées en fin de concert. La prochaine fois, peut-être ? Moi, j’y crois.
photo : Didier Radiguet