JOUR 4 : Elles

Prendre soin. Être à l’écoute. De soi, des autres. Quand Sandra Nkaké prend la parole dès les premiers instants de ce concert au centre culturel Jean Gagnant, elle crée une atmosphère propice à s’abandonner. Un endroit sûr, bienveillant, accueillant. Sa voix claire nous enveloppe dans un voile de douceur. Je soupire d’aise. Je me sens bien.

Bien souvent, trop souvent, un chanteur ou une chanteuse peut prendre le pas sur le groupe qui ne fait alors plus que l’accompagner. On va au concert pour le chanteur ou la chanteuse et le groupe se retrouve alors cantonné à un second rôle. Cela a toujours créé une forme de malaise chez moi, plus ou moins prononcé selon les performances et le traitement qu’offre la star chantante aux musiciens. Cet après-midi, je n’ai pas vu une chanteuse et deux musiciens, mais un trio. Un véritable trio, avec trois instrumentistes sur un pied d’égalité, qui échangent, qui jouent ensemble. Un groupe, un corps, une entité. Ensemble, Jî Drû, Sandra Nkaké et Paul Coulomb communiquent une joie immense, d’être là, pour offrir une parenthèse dans laquelle les intempéries du monde peuvent coexister avec l’exaltation.

A travers elle, le trio crée un espace pour être entendu, un espace d’engagement, de résistance. Un espace dans lequel Sandra Nkaké peut remercier les femmes qui l’ont fait grandir, qui l’ont fait exister. Des femmes qui ont osé et surtout qui ont réussi à être des sujets, dans un monde qui ne leur a pas appris à être. Des artistes, musiciennes, compositrices, qui ont pavé un chemin abrupt, encore très délicat à arpenter aujourd’hui. Qui chantent :

She runs home to her foster dad
He opens up a zipper
And he yanks her to her knees
My friend Poor Cherokee Louise…
[Elle rentre chez elle pour retrouver son père adoptif
Il ouvre sa braguette
Et la force à se mettre à genoux
Mon amie, pauvre Cherokee Louise]
(Joni Mitchell – Cherokee Louise)

I will not be a victim of romance
I will not be a victim of circumstance
Chance or circumstance or romance, or any man
Who could get his dirty little hands on me
[Je ne serai pas une victime d’une romance
Je ne serai pas une victime d’une circonstance
Chance ou circonstance ou romance, ou de n’importe quel homme
Qui pourrait mettre ses sales pattes sur moi]

(Laura Marling – I was an Eagle)

Savoir délivrer un message de cette façon est une qualité rare, une bénédiction tout autant qu’un travail immense. Pouvoir l’entendre ainsi est une chance.

“Elles c’est je, c’est tu, il, elles c’est vous”. Elles ce sont les femmes qui se battent simplement pour être, celles qui n’ont pas le droit d’exister sans l’approbation d’un homme. Ce sont celles que l’Histoire a décidé d’oublier, celles à qui l’on explique comment s’habiller, qu’il ne faut pas rentrer trop tard le soir. Ne pas être trop provocante pour ne pas se mettre en danger, plutôt que d’éduquer ceux qui perpétuent les mêmes ignominies depuis des siècles. Celles qui viennent de l’autre bout du monde pour garder les enfants de couples trop occupés à réussir. Celles qui disparaissent sur les routes migratoires. Celles qui sont battues, torturées, violées, tuées. Celles qui créent, qui croient. Celles qui dépassent le cadre de ce que l’on a imaginé pour elles. Qui chaque jour, tiennent bon. Elles c’est nous. Nous sommes les acteurs de leur réalité. Nous sommes collectivement, le problème et la solution.

Dansons, chantons pour Elles. Célébrons. Laissons leur la place, à Elles.

photo : Didier Radiguet