Jour 9 – Enjoy the silence

Quand on me croise ce matin, on me demande si je suis tout à fait réveillé. J’ai beau tenter de le cacher, ce n’est pas tout à fait faux. Après 8 jours de festival, je commence à être dans un état second, entre fatigue et excitation constante. Je traverse donc cette neuvième journée avec une énergie pour le moins singulière, vite concentré, vite déconcentré, avec la sensation que mon esprit digresse et se perd souvent.
Est-ce pour cela que je fredonne pendant tout le concert d’Oscar Teruel et de son trio ?

C’est possible, mais c’est aussi et surtout forcément lié aux compositions du pianiste. Le répertoire de ce dernier foisonne déjà de petites perles, que je chantonne bien longtemps après le concert – notamment le morceau hommage au Wu Tang Clan.

Les lignes de contrebasse d’Anthony Jouravsky m’entraînent avec eux, m’électrisent. La main droite de Jules Wallemme pourrait me faire décoller à chaque coup de baguette. Une grosse énergie, des compositions très inspirées, une forme de folie douce qui plane dans l’air, je suis aux anges, et je sors un peu de cet état second. Ça fait du bien du bon jazz qui sonne juste dès potron-jacquet.

Je suis donc bien plus en capacité de déguster l’intarissable Sébastien Farge, que j’aurais pu écouter jusqu’au soir, raconter l’histoire de la manufacture Maugein et la production d’accordéons. J’aurais même pu me passer d’instrument, tant sa fierté du patrimoine de la Corrèze, qui irradie l’Office de Tourisme, me saisit. Mais pourquoi se priver, quand en plus Rémi Sallard l’accompagne à l’accordéon diatonique, chromatique, et mixte. En une semaine, j’en ai appris plus sur l’accordéon qu’en une vie entière, et avec le professeur Farge, je veux bien continuer à apprendre encore longtemps.

Je n’en ai pas fini avec les leçons salutaires. Après Monk sans piano, pourquoi pas The Shape of Jazz to come avec? Formuler l’idée est simple, la mettre en application doit être une tout autre paire de manches. Apparemment pas pour Pierrick Pedron et son quartet. J’avais songé à aller écouter la proposition de Denardo Coleman à la Philharmonie, sur un programme similaire, et puis l’idée avait fané. Tant mieux, j’ai les oreilles vierges d’un concert avec cette matière. Je repars dans mon état du matin, et j’ai envie de chanter sur Chronology, de gloubiboulguer quelque chose en écho à cette musique que je redécouvre complètement grâce à une instrumentation magistrale. Je n’entendrai jamais Ornette Coleman en live. Est-ce vraiment un problème quand on a un Pierrick Pedron avec autant de suite dans les idées ?

Un répertoire exigeant, joué avec des idées nouvelles, ça nourrit énormément, mais ça use. J’aurais dû m’arrêter là, car je n’ai cette fois-ci plus de capacité d’écoute pour Faada Freddy. Je trouve les lumières trop intenses, j’apprécie quelques morceaux, mais je ne suis jamais vraiment là. Pierrick Pedron m’avait pourtant prévenu en clôturant son programme par Enjoy the Silence. C’est ce dont ́j’avais besoin.

Alexandre Fournet

 

© Photo Didier Radiguet