Les rendez-vous du midi à l’Office de tourisme se poursuivent, toujours avec la même qualité. J’aurais pu passer la journée à écouter Sébastien Farge nous raconter l’accordéon, et ceux et celles qui ont fait son histoire. Durant le forum qui a précédé, Marc Bertin, rédacteur en chef de Junkpage, parlait justement de l’importance de l’éducation à la culture et à la musique pour renouveler l’auditoire des musiques de niche. J’ai la solution. Il suffit de cloner Sébastien Farge, et de le disséminer un peu partout en France. Il n’y a pas de meilleur professeur pour cela qu’une personne dont on sent chaque fibre vibrer pour l’accordéon, un pan majeur de notre patrimoine musical français.
Après le répertoire français, le répertoire arménien. Tigran Hamasyan ne m’embarque pas immédiatement avec lui. Je n’étais prêt ni pour la puissance tonitruante déployée sur le premier morceau, ni pour les lumières en pleine face qui venaient me titiller pendant le second. Je me demandais pourquoi il y avait un claviériste en plus du pianiste, je trouvais que la mise en place du deuxième morceau trop longue, bref, je bougonnais. Je me voyais même me demander si j’allais rester.
Je serais passé à côté d’un monument. Comme un fait exprès, juste après cette réflexion, Arman Mnatsakanyan m’explique qu’il est hors de question que je quitte cette salle. Sur Hazaran Blbul, le batteur m’offre la porte d’entrée dont j’avais besoin. Un jeu diaboliquement précis, avec beaucoup de nuances, très mélodieux. Après ça, les deux heures ont défilé sans que je ne m’en rende compte. Deux heures d’une musique qui va dans tous les sens, qui prend ses influences partout, et qui est profondément jubilatoire. Je suis passé de renfrogné à extatique, rejoignant pour la soirée le clan des headbangers.
Après une proposition d’une telle richesse et d’une telle complexité du quartet de Tigran Hamasyan, j’ai une petite inquiétude. Une telle densité fatigue forcément l’oreille, alors enchaîner avec un power trio de la trempe de celui qui inaugure la collaboration entre le bâtiment 25 et le festival fait un peu peur. Il semblerait que cette journée était placée sous le signe des doutes rapidement balayés. Après un morceau de Giorgi Mikadze, oublié Tigran pour le moment, oubliée la folie du Grand Théâtre, bonjour l’univers surprenant du pianiste
géorgien, qui nous propose de découvrir le répertoire inconnu de son pays. Depuis que je viens au festival, il me manquait précisément cette ambiance-là. Un club de jazz. Un lieu intimiste, avec de la musique de très grande qualité. La formule me semble toute trouvée
avec le bâtiment 25. Giorgi Mikadze a le doigté ravageur et véloce auquel je suis complètement incapable de résister. Si on ajoute les frères Moutin à l’équation, il ne reste bientôt plus sur ma chaise qu’une poupée désarticulée, comme échappée du film The Dolls are laughing, contrôlée par les trois instrumentistes prodigieux.
France, Arménie, Géorgie, en une journée de festival, j’ai pu profiter de la profondeur de trois répertoires eurasiatiques, et goûter la chance d’avoir des ambassadeurs prodigieux pour les représenter.
Alexandre Fournet
© Photo Didier Radiguet

