Jour 6 – Bouffées d’existence

Je me vois déjà, au déjeuner, la semaine prochaine. Je commencerai à manger, et puis, après quelques coups de fourchette, je me retournerai, interloqué. Mais où est Sébastien Farge? Ça fait une semaine que je me nourris de sa générosité, de sa tendresse, de sa
musique, et là je suis censé faire un repas simplement avec de la nourriture terrestre ? Et mes oreilles alors? Et mon cœur ?

Aujourd’hui, c’est Caroline Bugala qui l’accompagne. La violoniste est branchée de la même façon que lui, au partage rieur et généreux. A eux deux, ils créent une joyeuse tempête de notes, une symphonie de la communion, partagée avec nous tous.

Le temps ne s’étant suspendu que dans mon esprit, je ne peux malheureusement pas assister au concert de Nicolas Girardi à l’hôtel de région, mais je me rattrape avec les Stablemates. Le son n’est pas toujours aisé à gérer dans cette salle, je salue la qualité de ce dernier pour le concert du quartet. Je profite alors pleinement de Now he sneezes, Now he blows, composition de Matthieu Cochard, que j’ai trouvé particulièrement inspirée. Je ne suis jamais déçu par les concerts du mercredi après-midi, et cela ne changera pas aujourd’hui.

Je ne me prive ensuite pas d’une deuxième dose du Django Trio. En effet, l’échange du midi avec Baptiste Herbin qui est tout aussi loquace quand il n’a pas son saxophone au bout des lèvres, m’a remis l’eau à la bouche. Cette seconde lecture me permet notamment de me noyer dans le fleuve sopranique herbinologué. Je ne m’étais pas attardé dessus hier, je ne boude pas mon plaisir aujourd’hui. Me voilà dans les dispositions parfaites pour M. Barron.

Il m’est très difficile d’écrire sur ce qui a suivi. Au sortir du concert, je reste sans voix, sans mot. La première sensation que j’arrive à discerner, c’est une incommensurable gratitude. Je me suis senti exister, profondément, pendant tout le concert. Une sorte de réalisation de soi-même. Des bouffées d’existence m’ont parcouru. Oui, c’est ça. Cette musique m’a ancré en moi, m’a mis, ou remis à ma place. Ça secoue, et je suis donc confus, sonné. Je crois que cette gratitude que je ressens, c’est la chance inouïe de vivre à la même époque que ce monsieur. Et ce dont je suis certain, c’est que j’ai vécu un très grand moment de musique.

Alexandre Fournet

 

© Photo de une Anne Sophie Dubreuil et photo ci-dessous  Didier Radiguet