Jour 3 – Bouillies

D.K. Harrell semble bien décidé à emporter l’adhésion du Grand Théâtre par tous les moyens. Le bluesman américain déploie des trésors de charme et de sons pour conquérir Limoges. Et pendant la première heure du concert, la formule explosive fonctionne à merveille. Les compositions du louisianais dépassent largement mes attentes en matière de Blues. Sa voix claire, sa technique guitaristique précise, ses frasques amusantes, pendant une heure, tout y est.

Et puis, le soufflé retombe un peu, pour moi. Je sens que l’heure idyllique est passée, et la formule du début du concert s’essouffle. Bien sûr, la voix est toujours là, et son jeu à la guitare reste brillant. Mais, je ne suis plus dedans. D.K. Harrell m’a oublié en route, et je semble être le seul concerné, à en croire les hurlements joyeux de la salle. Je sors du Grand Théâtre un peu interloqué. Si le concert n’avait duré qu’une heure, j’aurais crié au génie. A la place je me contenterais d’apprécier le potentiel de ce jeune homme très prometteur.

Étais-je déjà saturé de bonnes ondes après le concert de Ludivine Issambourg qui s’était fini peu avant ? C’est fort probable. J’étais bien en forme après deux premières journées de festival alléchantes. Je ne pensais pas avoir besoin d’énergie. Manifestement, j’avais tort. Au sortir du concert du sextet de Ludivine Issambourg, j’étais rechargé, ragaillardi, débordant d’énergie. Ça m’a fait du bien. Je me suis laissé aller, laissé complètement gagner par la gaieté du groupe, j’ai arrêté de me demander comment étaient-ils tous aussi bons et aussi justes ensemble et j’ai accepté l’avalanche de plaisir offerte.

La flûte peut être un cri déchirant, une feuille que l’on froisse, une section rythmique, un rouge gorge volubile. Cet après-midi, c’était un peu de tout à la fois, maniée par une instrumentiste qui a décidé d’en faire le fer de lance d’une musique joyeuse, déchaînée, survoltée. Bien sûr, l’articulation était impeccable. Bien sûr, la vitesse, la dextérité et l’équilibre étaient stupéfiants. Mais je peinais à m’y attarder parce que dans mon cerveau, on me hurlait de juste m’éclater.

Vincent Aubert et Sylvain Fétis, à la faveur de facéties que l’on ne peut se permettre qu’avec leur aisance, participaient à me faire déposer les armes de la réflexion. Je n’étais plus qu’un être de réjouissance, à la merci d’un sextet ravageur. J’arrivais quand même, dans de rares moments de lucidité, à remarquer la qualité d’écoute de Nicolas Derand, qui m’a paru tout bonnement unique. A chaque solo des autres instrumentistes, le claviériste trouvait la note, la phrase en plus pour sublimer la prise de parole en cours. Je n’ai pas le souvenir d’avoir été fasciné à ce point par la capacité d’une personne à en faire briller d’autres.

Rassasié, le cerveau bouilli, je n’avais peut-être plus tout à fait l’écoute nécessaire pour la longue prestation de D.K. Harrell. Qu’importe, je retiens la première heure du bluesman, et les déferlements délicieux du sextet de Ludivine Issambourg.

Alexandre Fournet

 

©Photo Didier Radiguet