J’avais apprécié la limpidité et la simplicité de la proposition d’Anyel Curren l’an dernier, et j’avais donc hâte de découvrir Aniel, le groupe qui s’est formé depuis autour de la joueuse de kora. Son quartet, qui se produit cet après-midi au sein du conseil régional de Nouvelle Aquitaine, est resté dans la même énergie. Un style très épuré, dans lequel la voix de la chanteuse est accompagnée le plus sobrement possible, afin de laisser la place à des textes touchants et justes. Je retrouve donc la musique que j’avais laissé l’an dernier, enrichie délicatement sans en briser l’équilibre.
Après l’ingénuité d’Aniel, vient l’intensité de Lapsus, un trio pour qui la recherche sonore semble être primordiale. Le bassiste Antoine Brunet puise amplement dans toute la diversité que lui offre son instrument pour créer des ambiances éphémères avec lesquelles il jongle brillamment. Parfois, ces ambiances tranchent fortement avec le jeu minimaliste du pianiste Bruno Rougevin-Baville, fait de ritournelles entêtantes. Et c’est tant mieux. Car c’est ce contraste, renforcé par ailleurs par le jeu ultra moderne de Félix Faviez, qui est à l’origine d’une musique qui peut être aussi radieuse que profondément brumeuse. Un projet à l’écriture foisonnante servi par des musiciens excellents techniquement et surtout complètement impliqués dans la philosophie de cette création. Très très prometteur.
Prometteur, Festen l’était il y a cinq ans, lorsque je découvrais leur musique pour la première fois au studio de l’Ermitage, dans le cadre du festival Laborie. Le temps a passé, et le “Inside Stanley Kubrick” de 2018 a son successeur, “Replicant”. Je m’installe donc dans le fauteuil de la Maison de Arts et de la Danse avec des attentes d’aventure, de voyage musical riche en paysages. Je vais commencer par être quelque peu frustré. D’abord, les lumières m’agressent, et je suis en réalité incapable de garder les yeux ouverts très longtemps. Très vite, je les ferme pour ne les rouvrir que sporadiquement. Je comprends l’idée derrière ces lumières. Elles doivent aider à figurer le voyage tumultueux de Roy Batty, personnage phare du Blade Runner de Ridley Scott, que le projet de ce soir veut raconter. Et effectivement, on s’imagine bien les “ships on fire” et les “C-beams glitter” devant le festival lumineux du soir. Mais j’aurais aimé que cette histoire soit relatée de façon un peu moins agressive pour mes rétines.
Donc, je ferme les yeux. Et le voyage commence. Le saxophone de Damien Fleau fait son œuvre et puisque je ne vois plus, mon siège de salle de concert se transforme en un siège de cockpit. Je pars très vite, très loin. Je visite des astres brûlants, je contemple des nébuleuses iridescentes, je perds la notion du temps et de l’espace en me déplaçant à des années lumières de ma réalité. Et même si parfois, je peine à entendre le piano de Jean Kapsa, camouflé par la puissance de la batterie de Maxime Fleau, je suis happé dans cette curiosité musicale interstellaire.
Fin du concert. Rappel. Et encore une petite frustration pour moi. Cette œuvre musicale était déjà complète. Mon voyage était terminé, je n’attendais plus qu’une chose, le silence. Une telle musique demande une respiration, un temps en sas de décompression, et j’ai l’impression de me le faire subtiliser. Je me sens spolié. Spolié, et pourtant ravi. Car cette sensation naît d’un constat très simple. C’est parce que ce voyage était épatant que je ressens une émotion aussi forte.
Photos : Didier Radiguet