Aujourd’hui, c’est le chaos. Mais pas n’importe quel chaos. Le chaos doux, créateur, le chaos salvateur de la rencontre. Le chaos qui fait du bien. Dès 18h, Alriyah sème les premières graines de cet enchevêtrement bienvenu à la BFM de La Bastide. Le duo de guitaristes a beau jouer ensemble, les deux styles de jeu sont radicalement différents et s’entrechoquent régulièrement.
Et même lorsque Cyril Douard s’arrête de jouer pour réciter un poème de Djalâl ad-Dîn Rûmî, l’accompagnement de Laurent Mansuy garde une distance stylistique surprenante. Habituellement, ces dissonances auraient pu être déplaisantes. Ici, cela participe à créer un mélange inattendu, mais surtout particulièrement savoureux. Une alchimie chaotique réjouissante et réussie.
Bien que le chaos me quitte sur la route me menant à l’Opéra de Limoges, il reprend vite ses droits au bout des lèvres de Laurent Bardainne. Là encore, entre les membres du Tigre d’Eau Douce et le saxophoniste, apparaît un espace de friction qui aguiche mon oreille. Les mélodies planantes tissées par Sylvain Daniel et Philippe Gleizes sont très rapidement écorchées vives par les phrases du saxophoniste, qui vient fouler des territoires de liberté chères à mon cœur. Et lorsque, dès le deuxième morceau, le rythme s’accélère et les décibels grimpent en flèche, cette sensation ne me quitte pas. La vague impression du parfait décalage, de l’alchimie forcée qui finit par devenir la norme de la soirée.
Arnaud Roulin et Fabe Beaurel Bambi peuvent bien s’abandonner à des motifs pop – pour ne pas dire kitsch -, le ténor de Laurent Bardainne est là pour écrire une autre histoire, beaucoup moins glamour, pas moins excitante. Ces propositions pourraient exister seules, indépendamment l’une de l’autre. Par chance, elles se rencontrent ce soir. Sans fusion, toujours sous tension, elles se tolèrent sans jamais s’accepter. Cet exercice de style périlleux rend l’ensemble particulièrement exaltant, et m’intrigue au plus haut point. Comment font-ils pour être et ne pas être ensemble, quelles ficelles diaboliques faut-il manipuler pour en arriver là ?
Je quitte l’Opéra avec ces questions en tête, mal assuré de ma capacité à donner toute mon attention quelques instants plus tard aux Lehmanns Brothers, qui se produisent chez Pompette en deuxième partie de soirée. Le lieu est plein à craquer, un dj a déjà poussé le volume assez haut, dans un brouhaha ambiant qui ne saurait être rassurant pour se lancer sur scène. Cela pourrait être inquiétant, embêtant, sauf si on s’appelle Julien Anglade et que Prince et D’Angelo ont décidé de se réincarner dans nos cordes vocales. Je craignais le décalage entre une salle venue pour partie pour le groupe, mais pas uniquement, et ce dernier. Il a bien lieu. Mais c’est la salle qui est beaucoup trop petite pour recevoir la dose monumentale de funk que les Lehmanns Brothers déversent allègrement. J’ai de la chicken grease partout, complètement submergé par le raz de marée généré par Alvin Amaïzo et sa guitare. Jonas Muel, quasi habitué depuis ses passages électriques avec le 112 Brass Band, remet une couche de puissance exaltante avec un solo qui a dû retentir dans tout Limoges. C’est à se demander comment on peut faire venir un groupe de ce niveau sans faire payer l’entrée. UNE TUERIE.
photos : Didier Radiguet