C’est l’histoire d’un idiot. Pétri de certitudes, sûr de son fait, il pense savoir. Et puis cet idiot se trompe, complètement, sur toute la ligne. Et lorsque la vérité lui éclate au beau milieu de la figure, il réalise qu’il s’est trompé. Il comprend son erreur, il intègre le fait qu’il peut se tromper, être surpris, et puis… Il oublie. Alors, il revient à la charge. Splendide ignare, il avance, il roucoule et se pavane au rythme de son ignorance. Et évidemment, il se reprend le même mur. Il réalise, et il oublie. Jusqu’au prochain mur. Et cela recommence, encore et encore.
Ce soir, je suis l’idiot de notre histoire, et la voix de Kaz Hawkins est venue jouer le rôle du mur avant même qu’elle n’entre sur scène. Je ne connaissais pas la chanteuse irlandaise avant sa performance. Je n’avais jamais écouté sa musique, comme je le fais souvent pour pouvoir profiter le plus possible de la découverte. Je ne savais donc rien. Et pourtant, j’avais quand même déjà une idée de la soirée que j’allais passer : une chanteuse de blues/soul, une soirée plaisante, dont je ressortirai satisfait sans pour autant être comblé ou transcendé. C’est déjà ce que je m’étais dit lors de l’ouverture du festival de l’année dernière, et j’avais déjà eu tort. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Kaz Hawkins m’a bien remis les idées en place.
On peut ne pas avoir d’affinités pour un style, mais reconnaître la qualité indéniable d’un maître ou d’une maîtresse dans sa discipline. Certaines personnes arrivent, par leur maîtrise, à faire comprendre à un néophyte qui découvre leur art la brillance de leur âme. Mais Kaz Hawkins n’est pas de cette trempe là. Lorsqu’elle a commencé à chanter, je ne me suis pas seulement dit que cette personne brillait particulièrement dans son genre. J’ai immédiatement ressenti son génie. Elle n’est pas géniale dans un genre, elle rend génial n’importe quel genre, qui emporte l’adhésion immédiatement, quoi qu’elle fasse. Sa voix semble contenir une infinité de mondes qui s’ouvrent dès que ses lèvres se quittent. Elle aurait pu chanter Une souris verte, et elle m’aurait emmené avec elle, dans un de ses infinis.
Mais Kaz Hawkins ne chante pas Une souris verte. Elle chante sa vie, simplement. Avec authenticité et force, les émotions qui la traversent s’incarnent immédiatement en moi. Lorsqu’elle chante, je pleure. Lorsqu’elle raconte en quelques mots l’histoire de son prochain morceau, je pleure. La chanteuse me surprend, l’humaine me bouleverse. Comment ne pas l’être, face à son histoire. Comment ne pas être submergé devant cette femme qui se tient digne, puissante, majestueuse, lorsqu’elle chante Standing Tall ? Comment ne pas être émerveillé par l’intelligence et la force d’une femme capable de dire qu’elle fait les choses pour elle-même, dorénavant ? Et quelques instants plus tard, je ris avec elle, tant elle irradie l’espoir et la joie de vivre. C’est le genre de concert qui vide, aux émotions fortes, tranchées, puissantes. Je n’ai rien fait de plus qu’être assis, à l’écoute, mais je suis épuisé. Épuisé, mais comblé.
Je suis l’idiot qui préfère toujours l’instrument au chant. Je suis l’idiot qui ne se débarrasse pas de ses à prioris. Je suis l’idiot qui s’est trompé sur toute la ligne, et qui vient de rencontrer la chanteuse ultime. Qu’est-ce que c’est bon d’avoir tort. Heureux, l’imbécile.
Photos : Didier Radiguet