Les concerts gratuits n’en finissent plus de rameuter les foules. Cet après-midi, à la BFM de l’Aurence, il y a quasiment deux fois plus de rangées de chaises que l’année passée. Tant mieux pour Cordeone, accompagné pour l’occasion de Gaël Rouilhac et de Giovanni Colletti. Il commence doucement le concert avec sa guitare portugaise, et les premières pistes du trio sont plaisantes, sans pour autant m’emporter. Dès qu’il la troque contre l’accordéon en revanche, je me laisse docilement emmené dans un univers bigarré, faits des genres qu’il a croisés sur sa route, avec une appétence très marquée pour le fado et le jazz manouche. J’ai la sensation que d’année en année, la qualité des concerts gratuits en journée croît – et Cordeone en est l’exemple éclatant. Sans aucun doute une des explications de la fréquentation grandissante de ces derniers.
Je me punis tout seul, comme un grand. Avant même le début du concert. Je cherche une place centrale, pas forcément proche de la scène, mais dans l’axe principal. Il n’y a pas tant d’options dans ces critères, mais je trouve une place au dernier rang, sous le 1er balcon. Je ne le sais pas encore, mais je viens de commettre une terrible erreur. Et je ne la comprendrai qu’après le concert, cette belle erreur de débutant. L’acoustique à cet endroit précis n’est pas tout à fait le même que pour le reste de la salle, et les graves saturent très vite. Résultat, lorsque le premier morceau démarre et que Gaston Joya commence à s’en donner à coeur joie avec sa basse, je n’entends plus que lui. J’entends à peine les solos de Rolando Luna et d’Irving Acao, et les graves vibrent en moi de la seule façon dont je n’ai pas envie de vibrer : parce que le son arrive trop fort jusqu’à moi.
Fort heureusement, Gaston Joya alterne tout le concert durant la basse et la contrebasse, et le problème se fait bien moins ressentir lorsqu’il joue de cette dernière. Ce qui me permet non seulement de reposer mon corps, mais de pouvoir enfin me régaler du groupe présent ce soir. Le soprano, si cher à mon cœur, est encore de sortie ce soir pour quelques morceaux et je ne boude pas mon plaisir puisqu’il est manié par un arpenteur des clubs parisiens que j’ai l’habitude d’entendre, Irving Acao. Yaroldy Abreu manie ses congas avec une justesse imparable et imprime le rythme dont j’avais besoin pour m’épanouir à l’écoute de la prestation.
Un demi concert, cela aurait pu être bien insuffisant à mon bonheur. C’était sans compter sur la lumière qui m’éblouit à tous les morceaux, basses trop puissantes à mon goût ou non. Durant les morceaux à la basse, je me recroqueville un peu sur moi, je mets ma carapace acoustique et je me protège en me privant. Carlos Sarduy n’en a rien à faire. Chaque note qui sort de sa trompette trouve immédiatement la faille dans cette carapace bien insignifiante face à son phrasé plus aiguisé qu’une lame de rasoir. Au bugle ou à la trompette, avec ou sans sourdine, il fait mouche sur chaque morceau et vient illuminer mes moments de doute. Il transforme mon fauteuil décevant en sofa molletonneux parfaitement placé pour recevoir le concert. Ou comment transformer le plomb en or juste avec un peu de laiton. Magistral de bout en bout, tout simplement.
J’ai la tête en chou fleur. Je me suis régalé, mais mes oreilles ont fourni beaucoup d’effort, et il faut encore aller à l’Ambassade, pour aller écouter le 112 Brass Band. Le doute vient toquer à ma porte. Ils seront là demain après tout, et j’ai encore cette chronique à écrire. Mais le souvenir de l’an passé m’empêche de commettre une deuxième erreur et me pousse jusqu’à eux. Et même si l’Ambassade est un peu plus calme ce vendredi, le 112 Brass Band applique ses meilleures recettes et emporte tout sur son passage, bien armé de l’humour flegmatique du déjà presque légendaire Jonas Muel. Ce soir, ils ne faisaient que s’échauffer. J’ai hâte de voir ce que cela donnera demain, pour la dernière de cette édition à l’Ambassade, et alors que j’aurais cette fois eu la présence d’esprit de ne pas m’asseoir n’importe où.
photos : Didier Radiguet