Jour 7 : Un nouveau monde

Il est 14h30 lorsque D.O.T. ouvre le bal de la septième journée du festival au sein du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine. A 14h32, j’ai les yeux rivés sur Romain Lastère et ils ne vont plus le quitter du concert. Il représente précisément l’archétype du batteur qui me fait chavirer. Un jeu très moderne, qui utilise beaucoup le charleston et la slack, dans la droite lignée d’un Yussef Dayes ou d’un Mc Knasty, un jeu riche, dense, qui donne à la batterie une autre place dans l’écosystème musical où on la pratique. Un jeu précis et vif qui m’obnubile et qui affole mes oreilles. Impossible donc de me détacher de Romain Lastère, et forcément impossible de ne pas passer un moment délectable pendant que le trio m’emmène avec lui sur un rythme insensé.

Alma FlamenKa, le groupe qui leur succède, propose un registre aux antipodes de ce que l’on vient d’entendre auparavant. Avec une flûtiste traversière et deux guitaristes, le trio apporte un univers qui se joue des codes du flamenco traditionnel pour plutôt s’aligner avec Paco de Lucia. Les deux compositions de Baptiste Poncelet soufflent un vent de fusion sur leur musique et Rêve brumeux laisse tout loisir à Florence Eymery d’aller explorer les recoins jazz de leur galaxie, pour mon plus grand plaisir. J’en viens même à regretter le fait que la flûtiste n’ait pu s’exprimer que sur deux compositions de Baptiste Poncelet. Une formation que je me surprends à réimaginer égoïstement dans une configuration qui laisserait à la flûtiste encore plus de marge. Qui sait ? A une autre occasion peut-être.

Je parle de Yussef Dayes, de Paco de Lucia, j’utilise des références, des souvenirs pour parler de ce que j’écoute et découvre au fil du temps. Je me raccroche souvent, voire toujours, à ce que j’ai déjà entendu, à des sentiments d’avant pour ordonner cette musique dans ma discothèque mentale. Si besoin, je croise deux univers pour en appréhender un nouveau. C’est involontaire. Automatique. Rassurant. Bien archivées dans ma bibliothèque musicale, il est plus aisé de se prêter à l’exercice de l’analyse.

Mais alors que se passe-t-il lorsque l’inconnu se présente ? C’est le cas ce soir. Ariel Bart et son trio proposent une musique que je ne raccroche à rien. La formation, d’abord,m’est complètement étrangère. Violoncelle, piano, harmonica, c’est quelque chose que je n’avais même pas conceptualisé. Je suis ensuite pris de cours à plusieurs reprises lorsque l’harmoniciste prend une direction que je n’assimile pas immédiatement, le temps de me rendre compte que je m’étais naturellement dirigé à droite pendant qu’elle virevoltait vers la gauche. Même sensation avec Arseny Rykov. Moins marquée, certes, mais il me déroute. Les chemins qu’il emprunte et qu’ils empruntent me surprennent. Je suis décontenancé, arraché à mes racines bien établies. C’est là, à cet instant, que je plonge complètement dans la découverte. Plus de repères, plus de certitudes, simplement un harmonica chromatique complètement imprévisible et pour seul ancrage, le violoncelle de Mayu Shviro qui reste lui dans le domaine de mon entendement.

Ce qu’il se passe alors, lorsque l’inconnu se présente à moi, c’est qu’un nouveau monde musical s’ouvre. Le champ des possibles croît de façon exponentielle, de nouvelles combinaisons se forment dans mon esprit. La musique vient de prendre de nouvelles couleurs, qui ne faisaient partie d’aucun spectre connu jusqu’alors. Ce soir, Ariel Bart m’a ouvert une porte vers des horizons infinis, des formations inconnues et des suites d’accords inéprouvées. Ce soir, l’harmoniciste israélienne m’a fait un cadeau inestimable, une invitation à rejoindre un macrocosme vierge de toute exploration. Il ne me reste plus qu’à m’y engouffrer.

photos : Didier Radiguet