C’est ma toute première pensée de la soirée. Une parenté qui me frappe après seulement quelques minutes de concert. Je me retrouve transporté six ans auparavant, à un concert de Marcus Miller, qui présentait alors son projet Afrodeezia. Ce dont je ne me souvenais pas cependant, et que je découvre en écrivant ces lignes, c’est que sur scène, ce soir d’avril 2016, un certain Alune Wade est présent.
Tout s’éclaire. La section cuivre restreinte, les percussions et la batterie complémentaires, une direction musicale et des arrangements brillants, un bassiste de génie qui arrache tout dès qu’il a envie de slapper… C’était donc ça, ce sentiment. Cette impression que « Zoom Zemmatt » est à l’étroit dans cette belle salle du CCM Jean Gagnant, que le groupe peut aspirer à beaucoup plus grand.
Je ne connaissais Mangane qu’à travers ses deux concerts à l’IF lors des deux éditions précédentes du festival. J’avais, à l’époque, été charmé par son univers, désarmé par sa capacité à réunir les mondes, mais à mille lieux d’imaginer vivre un concert comme celui de ce soir. J’assiste en direct à un changement de dimension fulgurant. Le groupe est encore vert, mais ce vert a déjà des reflets émeraude. Mangane est toujours désarmant de simplicité, mais sa voix est maintenant amplifiée, connectée à un petit orchestre qui lui offre un écrin magistral pour aller se nicher profondément en chacun de nous.
Si je pense à Afrodeezia, ce n’est pas une simple coïncidence musicale liée à la présence d’Alune Wade sur ces deux projets. Il n’est pas seulement question de présence, mais d’influence. Si Mangane, lorsqu’il présente les musiciens, parle du « maestro » Alune Wade, c’est loin d’être anodin. Tout au long du concert, je sens l’empreinte du bassiste sénégalais, qui enveloppe la scène. Le musicien joaillier a trouvé en Mangane et ses compositions un zircon à tailler, et Mangane ne se satisfait pas d’être biréfringent ce soir. Les sept faisceaux qui l’entourent et convergent vers le chanteur sont éclatés en une kyrielle de rayons capables de nous brûler la rétine.
Une telle prouesse ne serait envisageable sans des faisceaux suffisamment intenses pour traverser la multitude de facettes de la gemme Mangane. Parmi eux, si j’oublie un instant l’obnubilant Alune Wade, Anthony Jambon et Carlos Sarduy brillent particulièrement. Le piano n’est plus vraiment nécessaire lorsque l’on peut compter sur un guitariste métronome qui peut combler les failles à l’instant même où elles deviennent audibles, et qui cimente la colonne vertébrale inébranlable, et pourtant modulable à volonté, du groupe. Carlos Sarduy ne laisse quant à lui pas passer sa chance sur l’un des rares solos de la soirée, décrivant quelques arabesques que j’espère pouvoir contempler plus longuement lors du concert d’El Comité, vendredi.
Ce « Zoom Zemmatt » m’a pris de cours. Demain, le projet rentre en studio. Un grand drame. Car cela signifie que demain, mon appétit pantagruélique pour leur musique ne pourra donc être rassasié. Il va falloir attendre, longtemps, pour un album que j’imagine déjà un incontournable de l’année à venir. Contre mon gré, me voilà épistémophile. M’en plains-je? Certainement pas.
photos : Didier Radiguet