Les années passent, mais je ne m’habitue toujours pas au lever dès potron-minet imposé par les concerts à l’irrésistible Fraternité. Je voudrais presque me plaindre, mais ce serait bien malvenu après l’expérience de ce matin. Un simple bonjour et le concert de Mario Forte débute.
Le violoniste débute son concert par un thème classique, interprété avec maîtrise. Mais ce n’est pas ce qui retiendra toute mon attention. Après cette introduction, Mario Forte ne s’arrêtera plus. A l’aide d’un looper et d’effets utilisés avec parcimonie, le violoniste navigue entre les styles avec aisance et alacrité, muant au fil des mélodies. Utilisant à la perfection le jeu sans archet pour créer des accompagnements capables de sublimer son jeu, il est d’abord proche de Kheir Eddine M’Kachiche. Il traverse ensuite l’Atlantique pour se frotter à Thelonious Monk le temps d’un Round Midnight captivant, dans lequel je crois entendre quelques notes entrelacées de Smile.
La pérégrination ne s’arrête pas là puisqu’en fin de programme, on jugerait qu’il a troqué son violon pour un fiddle durant quelques instants. La palette du violoniste semble illimitée, tant les notes sortent naturellement. Une reprise de La Vie en Rose clôt cette délectable exploration à travers les genres.
Quelques heures plus tard, Gaël Rouilhac et Gilles Puyfages jouent également le jeu des reprises dans la BFM de Beaubreuil, une fois de plus bondée. Au milieu de standards de la chanson française et du songbook américain, le guitariste et l’accordéoniste nous offriront deux morceaux que je prends pour leurs compositions, Diamant Rouge, qui est bien de Gaël Rouilhac et Indifférence, que je crois être de Gilles Puyfages alors qu’il s’agit d’un autre standard, de Tony Murena cette fois-ci. Je l’apprends bien plus tard de la bouche de Gilles. Et donc, je reste persuadé tout le concert qu’elle est de lui, cette Indifférence. Bien que l’on parle par exemple d’Astor Piazzolla, de Jacques Brel ou de Fats Waller, les autres reprises me semblent bien pâles en comparaison à l’interprétation de ces deux morceaux. Pas parce qu’elles sont fades, mais bien parce que le duo est transfiguré lorsqu’il joue ce que je crois être sa propre musique. Même si je sifflote ces airs bien connus en rentrant du concert, mon esprit est marqué par ces deux morceaux. Durant ces deux pièces, leur jeu me semble être plus dense, plus juste, plus grave. Je suis alors persuadé que le duo illustre parfaitement le fait qu’une reprise, aussi fantastique soit elle, ne pourra jamais offrir le même sentiment de découverte qu’un morceau entendu pour la première fois. En réalité, une reprise le peut, puisqu’Indifference me procure ces sensations. C’est la seule chose qui me manque cet après-midi, finalement. Je me languis de plus de leurs compositions, alors même que je n’ai jamais entendu celles de Gilles Puyfages. J’aimerais pouvoir entendre leurs voix plutôt que l’interprétation de celles d’un autre. Car ces voix-là cachent très certainement des trésors encore enfouis que je suis avide de découvrir.
photos : Didier Radiguet