A la fin d’un concert, j’aime souvent prendre le temps d’échanger avec d’autres personnes présentes à la représentation. Recueillir des impressions, me confronter à d’autres sensations, d’autres vérités, et ainsi, souvent, mieux comprendre les ressorts de mes propres émotions. Mais il y a aussi des soirs où j’ai simplement envie de rentrer au plus vite.
Cela ne signifie pas que je n’ai pas envie d’écouter les autres, cela ne signifie pas non plus que j’ai passé une mauvaise soirée ou que le concert n’était pas au goût de mes oreilles, bien au contraire. Si je veux rentrer si vite, c’est parce que je me sens à la fois pâmé, et en manque. Pâmé après un grand moment de musique, car mon corps tout entier en redemande. Alors je rentre au plus vite. Je quitte le théâtre de mes sentiments pour pouvoir les retrouver au plus vite. Je pars à la chasse à ces derniers, en réécoutant l’album du projet du soir s’il existe, en parcourant internet à la recherche d’un son, d’un moment, d’une bribe qui pourrait prolonger ma fièvre.
Ce soir, je suis donc rentré très vite. Et j’en suis à ma deuxième écoute de M.O.M. Lorsque j’avais découvert l’album à sa sortie, je n’en avais déjà pas eu assez. Lorsque j’avais entendu le trio en live pour la première fois, je n’en avais toujours pas assez. Et ce soir, l’histoire se répète. Je suis insatiable. Même si ce concert fait désormais partie de moi, même s’il restera gravé dans ma mémoire, je n’en ai pas eu assez.
Car ce soir, j’ai retrouvé l’essence de mes premiers concerts de jazz. Les concerts qui m’ont appris la puissance du dialogue entre des musiciens, les concerts qui m’ont fait rire aux éclats car mon esprit n’était pas capable de gérer autrement un spectacle qui me dépassait. Les concerts des Grands.
Quand je ferme les yeux, je revois Louis Moutin arborer un sourire qui semble contenir toute l’histoire de la musique qu’il joue. Je revois François Moutin penché sur sa contrebasse, en constante recherche de la prochaine histoire à partager et de la façon dont il va pouvoir la raconter. Je revois Jowee Omicil s’arquebouter sur son soprano pour insuffler au trio le contrepoint dont il a besoin pour continuer le voyage. Je les revois tous les trois, comme des tourtereaux se redécouvrant encore et encore. Je repense au sublime AM, à l’irrésistible FRK. Si quelqu’un avait besoin d’une définition du mot jazz, il serait difficile d’en trouver une meilleure que celle que l’on nous a offerte ce soir.
La musique improvisée est, forcément, une question d’échange, de connaissance de soi et de l’autre, d’acceptation de la différence et d’intégration. Et à ce petit jeu là, les frères Moutin et Jowee Omicil sont des rois.
photo : Didier Radiguet