JOUR 1 : Du rire aux larmes

Est-ce qu’un festival a une âme ? Est-ce qu’un festival peut, à lui seul, modifier, transformer, transcender ce que l’on croyait connaître, ce que l’on pensait avoir entendu, la perception que l’on avait jusqu’ici d’un univers, d’un artiste et de ce qu’il était ? J’ai déjà vu et entendu Hugh Coltman à plusieurs reprises. Je croyais connaître sa musique, son univers, je croyais le connaître. Mais après quelques minutes de musique ce soir, je sens quelque chose. Une gêne, une surprise, une interrogation. Qui est cet homme ? Qui est ce chanteur que je ne reconnais plus ? Pourquoi, lorsque le chanteur britannique laisse sa voix s’aventurer dans un autre octave, mon corps entier, possédé, frissonne?

On pourra parler de l’expérience, de l’évolution constante d’un artiste à la recherche de ce qu’il veut être sur scène et de ce qu’il a pu y être jusqu’ici. On pourra parler d’états de grâce des musiciens ou du chanteur, de moments rares, de symbioses inattendues, de performance d’un soir que l’on reverra rarement. On pourra parler d’accueil, d’organisation, d’acoustique, de public.

Peu importe. Ce soir, lorsque Hugh Coltman, Frédéric Couderc, Jérôme Etcheberry, Jerry Edwards, Didier Havet, Freddy Koella, Laurent Coulondre et Raphaël Chassin sont entrés sur scène, lorsqu’ils ont offert les premières notes de la soirée, un petit miracle était déjà en route. The Sinner commençait tout juste, et le groupe était déjà à l’unisson. Who’s Happy, le projet présenté ce soir et porté par Hugh Coltman et Freddy Koella prend ses racines à la Nouvelle-Orléans. Le berceau d’un genre, d’un son, le berceau d’un univers qui n’aura connu comme limite que celle des mots employés par mes collègues ou comparses d’une autre époque, tout dépassés qu’ils étaient par un univers musical aux antipodes de la vision archaïque que l’on leur avait donné à voir jusqu’ici.

C’est cet univers musical, et ce qu’Hugh Coltamn a à offrir de lui à travers cet univers que l’artiste a fait bourgeonner en nous en cette soirée d’ouverture. Une musique libre et libérée, une musique à travers laquelle on vit, à travers laquelle on pleure, à travers laquelle on rit. Du rire aux larmes. De la souffrance de l’évanouissement d’un proche à la passion d’un premier amour. L’espace d’un instant, d’une existence, Hugh Coltman a incarné une musique qui nous dépasse tous et qui nous incarne entièrement. L’espace d’un instant, d’une existence, des flots ravageurs ont assailli l’essence même de ce que nous vivions, ressentions.

Le festival éclats d’Email vient seulement de s’ouvrir. On l’a attendu, on l’a chéri. Patiemment. Il est là. Il éclate, grandiose. Un festival a-t-il une âme ? S’il en a une, elle est forgée, soirée après soirée, instant après instant par des êtres humains comme ceux que l’on a eu l’honneur de voir se produire ce soir. Morceau par morceau. Piste par piste. Instant infini par instant infini. Hugh Coltman et les sept instrumentistes ont donné le la. Un la amoureux, rieur, sublime de bienveillance et d’intelligence.

On attend le reste de la gamme.

photo : Didier Radiguet