Ouverture de légende, clôture de légende. Après 11 jours d’instants fiévreux, de délices sonores et d’exaltations musicales, il était nécessaire d’accueillir un artiste mythique pour apporter un point final à la hauteur de cette treizième édition du festival Eclats D’Email. Ce soir, Don Bryant incarne ce rôle à la perfection. Depuis deux ans, le rayonnant septuagénaire venu de Memphis est de retour sur la route et on sent puissamment qu’il ne boude nullement son plaisir de fouler à nouveau le plancher des scènes internationales. Venu avec les Bo-Keys, groupe originaire de Memphis tout comme lui, il nous ramène un demi siècle plus tôt, a l’époque de l’enregistrement de son premier album, Precious Soul.
Après tant d’années, il revient donc porteur plus que jamais d’un message d’amour universel et sans conditions , qu’il nous transmet avec une voix brûlante de l’amour qu’il semble porter au plus profond de lui. Son inimitable timbre envahit tout l’espace du Grand Théâtre de Limoges, parfois sans même qu’il ait besoin d’utiliser son micro. Le répertoire est partagé entre des grands classiques de la soul et ses propres enregistrements, dont il a écrit, pour la majeure partie, les paroles. Avec Memphis Soul Stew, un classique de King Curtis, il se transforme pour un morceau en Brook Benton et son fameux Hit Record, lançant tour à tour les instruments pour développer un thème échevelé et entraînant. Show man dans l’âme, il conserve tout le concert une énergie communicative et arbore un sourire ravageur, qui remonterait jusqu’au sommet de son crâne s’il en était capable. Everything is Gonna be Alright, nous assure-t-il ensuite avec aplomb, pour ce morceau qui rappelle forcément le Shotgun des Jr Walker & The All Stars, véritable tube des années 60. Il est évident que le bonheur qui l’irradie n’est pas feint, et assister à la standing ovation d’un public admiratif semble être pour lui un délice dont il ne saurait se passer. Pour conclure un concert maîtrisé de bout en bout, le Don de la Soul et son groupe nous régalent d’un monument de la soul qu’il avait écrit avec Ann Peebles avant leur mariage, I Can’t Stand The Rain qui rappelle forcément de sweet memories. La salle, survoltée, est debout. Aux quatre coins de l’Opéra, les visages sont illuminés, animés par la joie simple d’avoir partagé un moment d’extase grisant avec un grand monsieur de la musique.
C’est ainsi que s’achève ce somptueux voyage. De Ron Carter à Don Bryant, ce festival aura été l’occasion de démontrer une fois de plus l’infinie richesse d’un style musical centenaire qui ne cesse d’évoluer, d’explorer, et de changer d’apparence à chaque instant. Comment pourrait on imaginer une parenté entre David Murray et Didier Ithursarry ? Un lien entre Lisa Doby et Festen ? On ne le peut pas. Et pourtant, ils étaient là, réunis sous un même étendard fédérateur, un étendard qui chérit le jazz sous toutes ses formes, de toutes les époques, sans discrimination aucune. Grâce à cette ouverture, on aura pu découvrir la liberté sans borne d’Elodie Pasquier, l’intelligence mirifique d’Uriel Herman ou encore le talent indéchiffrable de Cassius Lambert. Grâce à cette ouverture, on aura pu retrouver le son affolant du saxophone baryton de Silvia Ribeiro Ferreira, les poèmes enragés de Saul Williams et les tribulations sémillantes d’Édouard Ferlet.
Elle est bien là, toute la réussite et la beauté de ce festival. Mélanger les genres, inviter à la découverte, au lâcher prise, rassembler. Embrasser le jazz pour ce qu’il est, ce qu’il a été, ce qu’il sera et continuera d’être.
photo : Didier Radiguet