Nouveau rendez-vous durant le festival, l’Acoustic Club 87 présente ce dimanche quatre artistes de la région venus défendre leurs compositions. Parmi eux, mes oreilles s’agitent à l’écoute de la kora d’Anyel Curren. Ses doigts sont encore un peu hésitants, sa voix pas toujours assurée, mais il se passe quelque chose. La simplicité des accords servent judicieusement des textes sobres. Anyel Curren utilise sa voix sans ornements inutiles, dépouillée d’atours qui n’auraient pas leur place ici. Un petit éloge de la pureté réussi.
Après l’éloge de la pureté, l’éloge de la joie. En concert, je me laisse plus souvent submerger par le tragique que par l’allégresse. Les moments de joie sont évidemment savoureux, mais la musique transperce bien plus souvent et bien plus fort lorsque je ressens la déchirure, la faille, le drame. Cet amour du noir sied parfaitement à la musique noire américaine, et c’est peut-être même ce qui m’y a mené. Cette musique a toujours su parfaitement narrer la souffrance, puisqu’elle y prend sa source. La musique cubaine, elle, n’a pas tout à fait les mêmes racines.
Et pourtant. Pourtant, en cette fin d’après-midi, je suis complètement submergé. Je jubile. L’atmosphère extatique me saisit dès le premier morceau d’Ivan “Melón” Lewis et du Cuban Swing Express. Déjà, à son arrivée sur scène, la température avait changé. Le pianiste dégage une aura voluptueuse, et le groupe n’a pas encore commencé à jouer. Mais son regard, son expression, et ceux des musiciens du groupe suffisent à créer une ambiance joviale. Il s’assied, pose ses mains sur le piano, et commence à jouer. Dès lors, un torrent de bonheur m’assaille, et je me retrouve impuissant, béat.
Rarement j’ai vu un tel plaisir de jouer ensemble, une telle communion. Les instrumentistes sont tantôt hilares, tantôt admiratifs, toujours justes. Le saxophoniste Roque Martinez et le tromboniste Geandelaxis Bell assurent les chorégraphies récréatives de la section cuivre. Le terme spectateur élargit encore son sens. Les onze larrons en foire pourraient être entre eux, en train de partager nonchalamment un verre, on ne verrait pas la différence.
Bien entendu, s’ils étaient seulement amusés et amusants, heureux d’être, le moment serait certes agréable, mais ce serait bien insuffisant pour susciter en moi ces bouffées brûlantes d’extase. Ce qui le permet, c’est le génie du pianiste. A chaque changement de rythme, de thème, il donne l’impression que tout est possible, qu’un solo échevelé peut se transformer en mambo, qu’une reprise des Rolling Stones peut devenir une conga. Le groupe phagocyte tous les genres et les plie à son envie et à sa gaieté. Et lorsque Melón quitte son piano, il amplifie encore l’énergie phénoménale dégagée par le band en se muant en marionnettiste capable d’exploiter la virtuosité de chacun des membres.
Jouissif, grisant. Jamais un concert ne m’avait procuré une joie aussi pure, aussi simple. Ces exhalaisons orgastiques m’étreignent et j’ai l’impression de découvrir une autre façon de me délecter de cette musique. C’est là la prouesse du Cuban Swing Express et de son leader.
photos : Didier Radiguet