Je suis du genre à aller au concert de Stacey Kent parce qu’en deuxième partie il y a Christian McBride et à aller voir Cécile McLorin Salvant parce qu’elle est accompagnée de Sullivan Fortner. J’apprécie certes les grandes chanteuses de notre ère et des ères précédentes, mais ce n’est pas exactement ce qui me fait le plus vibrer, ce qui m’anime. Pour ma quatrième venue au festival Éclats d’Email, les deux premiers concerts sont deux concerts avec de grandes voix. J’entame donc cette édition avec une certaine impassibilité, en sachant bien sûr qu’une pléthore de concerts enchanteurs m’attendent.
Ce concert inaugural a en plus la lourde tâche de rendre hommage à une figure immense, non seulement de la musique noire américaine, mais également des combats pour les droits civiques aux États-Unis. Il démarre pourtant parfaitement bien. Le Natural Woman Band commence sur les chapeaux de roue et propose une introduction à Think sauce Papa Was a Rolling Stone, qui n’est pas pour me déplaire.
Le groupe s’occupe immédiatement des deux éléphants du répertoire d’Aretha Franklin en enchaînant sur R.E.S.P.E.C.T. J’ai sans doute trop entendu ces morceaux pour me laisser emporter. Mais avec ces deux chansons déjà consommées, la liberté du groupe ne peut que croître. Voyons où cela nous mène.
Les textes sont toujours aussi justes, les arrangements sont bons, Tatiana Gronti chante parfaitement et sait emporter la salle avec beaucoup de justesse. C’est un moment agréable, plaisant. Jusqu’à ce que Natacha Kanga, une des deux choristes du band, prenne la place de leadeuse le temps de Young, gifted and black. On passe alors de l’agréable au renversant. Les paroles de l’hymne de Nina Simone emplissent la salle d’une nouvelle couleur, Natacha Kanga la nuance et l’intensifie, la soirée prend une autre tournure. Cela ne dure qu’un morceau, mais la chanteuse catalyse toute la lumière pour créer un moment que je n’imaginais pas vivre ce soir.
Le reste de la prestation ne saura me délivrer. Je reste prisonnier du Young, gifted and black, encore marqué par la voix de la chanteuse redevenue choriste. La maîtrise et la justesse sont pourtant toujours omniprésentes, et le groupe est irréprochable.
Ce dernier reprend à nouveau les Temptations pour tirer sa révérence en épanadiplose. Cette première soirée fut, comme toujours avec Éclats d’Email, au-delà de mes attentes. La découverte de la voix de Natacha Kanga a amplement suffi à mon bonheur. Toni Green, qui se produira demain, n’a elle-même pas su m’en détacher. Y arrivera-t-elle demain?
photos : Didier Radiguet